Frédéric Acquaviva

Catalogue L’Affare Giotto III, ed. Fabio Freddi, Torino, 2012

Certaines oeuvres, remplies d’intelligence plastique à en paraître paradoxalement dépourvues, visant le non ostentatoire, oeuvrent, dans une société comme la nôtre, comme une sorte de suicide. Ces artistes secrets et radicaux, excentrés sinon excentriques, semblent hors-phase, ayant pris acte du retard inévitable de la majorité de la population, accentué par celui de la critique.
Selon moi, les créateurs sont repérés immédiatement par les autres rares créateurs, la critique ayant souvent 50 ans de retard et le grand public un siècle. Nous vivons un espace-temps hallucinant, nourri d’anachronismes (Pétain, quasi-exact contemporain de Rimbaud, par exemple). Les vrais créateurs ne s’en inquiètent plus, tel Raymond Roussel, qui mieux que quiconque a senti ce décalage allant jusqu’à visualiser des lumières sortant de sa plume à 19 ans, avant de se réfugier, faute de mieux, dans l’espoir d’avoir « un peu d’épanouissement posthume à l’endroit de mes livres ».
Rencontrer Broutin, c’est devoir réviser tout lieu commun sur ce que l’on pense être la figure d’un “artiste”. Pas de vêtement souillé de térébenthine, aucune discussion sur son oeuvre, Broutin est d’une simplicité déconcertante, comme ses tableaux.
Après une première période de métécisation poussée à l’extrême dans ses implications de perspectives lettristes, à base de hiéroglyphes et d’alphabets de fruits et légumes volontairement naïfs, portant en illuminati le message des théories du Soulèvement de la Jeunesse d’Isou, succéda une période où il n’eut de cesse de tenter de nous convaincre, tel un dément, que les habitants de New-York étaient la plus grande sculpture vivante, dans toutes ses combinatoires possibles, jusqu’à finalement s’en rendre persuasif (la fantastique série “Faire l’Amour” en témoigne).
Avec ses séries Giotto I, II et III , unique obsession entre 2006 et 2010 (1 impressionnant retable, une cinquantaine de toiles et 114 dessins), il continue à contre-courant dans le politiquement incorrect, reprenant certains thèmes de la Passion du Christ, alors qu’il est l’athée par excellence. Les paradoxes s’accumulent, se superposent, se relient les uns les autres. Mais l’infini entourant la croix du Christ ne serait-il pas plutôt une référence à l’esthapéïrisme Isouien?
Broutin restera comme l’un des grands Primitifs du Lettrisme et de l’hypergraphie – c’est tout naturellement que son choix s’est porté sur Giotto - , un immense dessinateur au trait subtil, créant des oeuvres face auxquelles l’émotion ressentie semble en opposition totale avec celle investie lors de son élaboration plastique.
“Plus c’est simple, plus c’est beau”, disait Wolman.
Broutin, ne se prononce pas.
Il trace ses lignes de fuite, de Toscane à Berlin.

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