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GILLARD: BROUTIN, A PROPOS DE AFFAIRE GIOTTO

l'interview complEte

November 19, 2011

Lettrisme XXIe siècle - A la lecture des trois textes que tu livres dans le catalogue de l’exposition, on comprend que dans cette œuvre qui s’étale sur quatre années il y a une superposition de sujets. D’abord la rencontre des plus émouvantes avec Giotto à Assise, « Nous étions tous deux des explorateurs de la perspective : lui, figurative, moi, lettriste [...] Je me découvrais un frère de combat », puis la question polémique de la paternité des œuvres, ce que j’appellerais si tu veux bien le mensonge des petits contre les grands, enfin « la singularité spirituelle » de Saint-François d’Assise qui t’amène à réfléchir pour ton propre travail. Est-ce que j’oublie quelque chose ?

Broutin - C’est vrai que plusieurs thèmes s’entrecroisent dans cette rencontre avec Giotto : la perspective, la paternité des créations et l’émotion ressentie devant la beauté nouvelle. La perspective d’abord puisque c’est le cœur de ma démarche depuis les premiers dessins de 1968. La perspective lettriste et hypergraphique, commencée par les inclusions d’inclusions de lettre (1) pour créer la profondeur du mot et de la phrase, puis ses conséquences, la mise en abîme des pages en 1973 avec les plans inclinés et sécants, qui déroulent le thème d’économie politique du Désir paradisiaque et l’externité, pendant presque une décennie, pour le reprendre en 2006 avec le Désir retrouvé. La perspective excoordiste ensuite, faite d’infinis en expansion et reliés entre eux, qui me donne la clé pour réinterpréter l’œuvre de Giotto dans l’Affaire Giotto III en 2008.

La paternité des créations qui donne lieu comme tu le dis « au mensonge des petits contre les grands ». Dans le cas de Giotto, comme pour Picasso ou Isou, la place des prédécesseurs et des successeurs ou camarades de combat est exaltée pour diminuer leurs apports. Parfois comme pour Giotto on leur nie mȇme la réalisation concrète de certaines œuvres.

L’émotion ressentie, d’abord dans la nef de la cathédrale d’Assise face aux scènes du récit de la vie de Saint François, s’amplifie encore devant les fresques peintes par Giotto et par son maître Cimabue et qui recouvrent entièrement les parois et les voûtes de la crypte, comme dans un hypogée égyptien.

Victime du syndrome de Stendhal, en colère contre ceux qui ne veulent pas humblement reconnaître le génie, mu par la nécessité de prolonger mon œuvre, je me suis lancé dans le cycle consacré à Giotto.

Lettrisme XXIe siècle– Restons un peu sur la seule perspective. Parmi tous les lettristes c’est vraiment une préoccupation, il serait peut-être plus exact d’ailleurs de parler d’une vraie passion, qui t’appartient en propre. Peux-tu nous en dire davantage sur ce qui l’a fait naître et durer ?

Broutin - Qu’est-ce qui fait naitre une passion et la fait durer ? En ce qui me concerne tout à commencé par les visites à 10 ans au Musée du Louvre – dans la section des antiquités égyptiennes – pour étudier les éléments picturaux juxtaposés les uns à coté des autres ou entassés les uns sur les autres.



Tombe de Nebamon, Thèbes, 1400 ac

Ensuite, une professeure de dessin du lycée de Sèvres qui m’ouvre une porte du savoir et grâce à qui je suis enfin capable de rendre la perspective d’une allée bordée d’arbres.



Plus tard, la fascination de la géométrie dans l’espace qui me valait les seules notes supérieures à la moyenne en cours de mathématiques.



La rencontre du lettrisme n’a pas éteint cette passion, au contraire elle l’a renforcé et lui a donné un sens nouveau. N’ayant pas trouvé le matériel esthétique nouveau, il ne me restait qu’à développer des rythmes propres et c’est ce à quoi je me suis appliqué dans mes premières oeuvres avec les inclusions d’inclusions de lettres, de mots, de phrases, etc. ,


Adam, encre de chine sur toile écrue, cm 130x96, 1970 (détail)

dans Le désir paradisiaque et l’externité avec les plans inclinés qui s’entrecroisent,


Le désir paradisiaque et l’externité, encre de chine et acrylique sur toile, cm 65x54, 1976

enfin plus récemment en proposant la perspective des infinis en expansion et coordonnés de l’Affaire
Giotto III .



Deux infinis en expansion séparés par une ligne (Joseph et les bergers), impression et encre de chine sur papier, cm 30x21, 2008

Tu vois, la perspective c’est un fil conducteur qui traverse toutes les étapes de la peinture depuis ses origines et aboutit, comme une évidence, à ma place dans le lettrisme.

Lettrisme XXIe siècle - On ne connait jamais les ressorts qui font naître une nouvelle série d'oeuvres, un prolongement inattendu. Aurais-tu quelques idées qui te trottent dans la tête ?

Broutin - Continuer à explorer les relations entre les éléments esthétiques et leurs combinaisons élastiques. Comme je l’ai montré avec l’Affaire Giotto, la nouvelle perspective peut servir de grille  pour réinterpréter la peinture passée.C’est ce que je veux confirmer en consacrant une étude à Kandinsky et à l’art non-figuratif.
(1) Dans son essai intitulé Perspective, édité en 1976 par le Studio M de Mike Rose à Bamberg,  Jean-Paul Curtay caractérise ce style de multi-inclusion. Sa tentative s’arrête  à la lettre comme constituant  de la perspective picturale.  Il ne voit pas au-delà de cet élément origin
© Lettrisme XXIe siècle, JP. Gillard, Broutin

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